Deville-Chabrolle Journal d'atelier (retrouvé !)

Hommage aux garçons

Serge et Jérémie.
Ce soir, je voulais leur dire merci.

Parce qu'après le moule à creux perdu, fait directement sur la terre crue, les sculptures nous reviennent le plus souvent, découpées et un peu... amochées...
Et puis, mea culpa, quand les mains sont sculptées directement dans leur position définitive, il est impossible de passer dessous, entre le corps et la main pour la modeler.

Alors les garçons sont là, avec leur savoir-faire, et une patience d'ange, pour reprendre toute la pièce. Tout est revu, corrigé quand je le leur demande, refait si nécessaire. Alors on pourrait dire ... oui, mais dans cette position l'intérieur de mains ne se voit pas... Mais nous on le voit, et chacun pour des raisons personnelles aime cette sculpture, et là on se met tous les trois à la regarder sous toutes les angles, à marquer les corrections, à ajouter du volume ici, en enlever là..

Moi, je repars à ma nouvelle sculpture et trois ou quatre jours après il me rendent ma pièce: parfaite, polie comme un marbre.

Je les aime.
Je suis fière d'eux.

Dimanche

Claire est revenue faire des photos,

voila ce que voient les yeux de Claire, dans l'atelier...

Je ne sais rien des gens, tant que je ne les ai pas vus, entendus, "disponibles et à certaines heures pâles de la nuit" comme dit Léo Ferré .

A ces heures-là, Claire m’est apparue comme quelqu’un en qui la vie était  plantée comme une écharde. Ou, comme si elle-même, était une écharde dans la peau de la vie.

 

A notre première rencontre elle n’était pas là. Nous ne nous connaissions pas, nous ignorions même l’existence de l’une et de l’autre.

Et pourtant jamais rencontre ne fut plus évidente et forte.

 

J’étais chez Flo, ma meilleure amie.

Il y avait une photo en noir et blanc. "L’objet" c’était son titre.

Cette image là, restera pour toujours  l’image associée au visage  de Claire. En un regard, en une image….

J’avais été débusquée au plus intime, à l’un des centres névralgiques de mes angoisses. Touchée en plein cœur.

Une seule image, là ou il m’aurait fallu des pages et des pages incertaines et douloureuses pour le dire.

 

J’ai acheté la photo, et j’ai su d’instinct que c’était ce "regard-là", cette "sensibilité-là" qui saurait, non seulement pénétrer l’âme des sculptures, mais qui saurait même, en extra- lucide qu’elle est, me les rendre avec quelque chose en plus.
Le plus, étant peut- être, l’absolue pureté de son regard.

Savoir prendre de la hauteur

Au propre comme au figuré.

Cet homme me tue, "L'Imprécateur". "Le crieur d'âmes"

Je monte sur ma table levante, je fais des corrections, je redescends voir si tout va bien.....et je remonte.

Et ce toute la journée, enfin comme je le dis à chaque fois,"il est presque terminé, on va pouvoir commencer à travailler" !

Les volumes sont à peu près en place à quelques exceptions près. L'attitude aussi, l'aplomb est bon, maintenant il faut le reprendre des chevilles aux pieds pour tout revoir, et travailler le détail, le modelé, les proportions des volumes les uns par rapport aux autres et l'expression....

 

De bonnes nouvelles de Flo concernant le film qu'elle a tourné à l'atelier, qu'elle met en scène et monte. On doit travailler encore ce week end (après avoir été à Lyon voir le ballet de Sankai Juku), et le week end prochain. Mais ça avance bien.
Et puis les moments passés avec flo, meme si c'est bien sûr du travail, c'est ... .indéfinissable, et nécessaire. C'est l'amitié quand elle vous rend plus riche, plus fort, plus lucide, plus intelligent et plus stupide de tendresse à la fois...

 

Autre bonne nouvelle, Claire revient à l'atelier le 16, pour une nouvelle série de photos, on verra celles qu'elle a prises la dernière fois, et ça c'est toujours un grand moment de nos retrouvailles.