Deville-Chabrolle Journal d'atelier (retrouvé !)

La lettre

Une lettre d'ailleurs.
On l'accueille avec une feinte désinvolture....

Tendre la main vers une lettre fait partie des gestes    apparemment paisibles de l'intime.
On l'ouvre et la tête un peu penchée, les yeux suivent une petite vague bleue, qui descend inexorablement, sans hâte, sans répit.

Tout au bout de la vague, il y aura peut être quelques larmes, un sourire rêveur, un acquiescement vague, un renoncement ...

Mais c'est avant de l'ouvrir, que la lettre tient tout son pouvoir... dans ce moment très clair, juste avant , quand les mains sont fermes... mais sous les pieds le parquet commence à flotter.

Son nom

Je crois que je vais renoncer à vous montrer la photo de la sculpture finie ,du moins ce soir ..... voila 15 minutes que j'attends que la photo veuille bien se charger .... toujours rien.... bientôt ce sera plus long que de faire la sculpture elle-même.......
Bon ....... note commencée à 18h04, photo chargée à 19h18 !
J'sais même plus ce que je voulais vous dire d'elle...
Peu importe  après tout.... maintenant qu'elle est terminée, elle parle de sa propre voix et ses secrets  n'appartiennent qu'à vous....
D'ailleurs elle n'a pas encore de nom... si elle  vous le dit dans le creux de l'oreille..... dites le moi!!

Une journée douce

Se retrouver à l'atelier.
Avec ce sentiment jubilatoire d'être à sa place juste.
Dans le sentiment juste.
Dans votre propre réalité.
Emplir complètement l'espace, celui de votre esprit et celui de vos gestes.
Cachée aux yeux du monde.
Inexistante sous le regard des autres.

Le soir rentrer sous la pluie.
Le corps a dû réapprendre en une seule journée les contraintes de la sculpture et en paye le prix.
Le dos douloureux, la coulée brûlante de la fatigue, la main droite raidie, qui garde en mémoire les mille gestes répétés inlassablement.

Et pourtant comme une terre nourrie, le coeur enfin en paix. L'âme pleine de lumière.

Le soir garder Kiya.
Dans mes bras cette petite fille qui fait sa place comme un chat, niche sa tête, contre mon épaule , sous mon cou. On regarde "Alice aux pays des merveilles". je respire ses cheveux, sa nuque.

De temps en temps elle rejette sa tête en arrière et me parle, je me noie dans la tendresse de ses immenses yeux noirs, j'embrasse le bout de son nez.

Le bonheur existe et n'exige rien.

Images flottantes

C 'est étrange....

Depuis que je suis ici...quand je vais sur le "journal" ...il est devenu sourd et muet.

je veux dire je ne vois sur les pages aucun texte.

Ni les vôtres ni les miens...on dirait qu'un silence profond règne. C'est comme s'il y avait eu un immense naufrage. A la surface de l'eau, seules  les images flottent.

Les mots ont sombrés, corps et âmes,ne restent plus que quelques souvenirs alléatoires...

Coupée de vous donc une nouvelle fois, j'envoie mes notes...bouteilles à la mer

Cou de tourterelle

L'amnésie blanche de cet instant, l'envahissait..
Ne restait d'ombre,que ce creux à la base du cou.

Elle perdit aussi les derniers mots que l'amant du "Patient Anglais" disait à son amour...

Il lui demandait, se souvenait-elle à peine, il lui demandait comment s'appellait cet endroit précis et qu'il voulait que ce creux lui appartienne.....

Mais elle avait un cou de tourterelle et la tourterelle s'éleva   dans le ciel avec cet ultime souvenir .

Volupté

De la volupté de se sentir femme, de la taille aux hanches.

De la cambrure des reins, aux fossettes.

De la douceur  des courbes sans cesse inversées.

De cette chair dense qui n'était que pleins et déliés comme l'écriture d'un amant sur une lettre.

Page où l'encre glisse sur les courbes des mots.

Le silence blanc de l'été, sur sa peau... lui parlait sans discontinuer de de cette volupté là.

Mystère mobile

Il ne nous appartient pas de connaître ce que cachent ses paupières fermées..

Cents ciels ouverts sur un chant de lumière...?

Le silence ou dort le mot amour,comme un reste de Paradis?

Des histoires de visages nus comme l'eau de pluie?

Les mystères sont mobiles...sinon nomades......

Incandescence

La lumière d'été avait tout brulé autour d'elle. Le paysage, ses contours,la ligne d'horizon, les couleurs, les senteurs tout,.... jusqu'au temps lui même.

Elle avait cherché çà tout le jour.

L'exacte lumière. Pour n'être plus que seule, anéantie de lumière.

L'exacte lumière.

Et sa peau nue

Pour une éblouissante amnésie.

                                                                                                                                                                                             Malgré tout,  un pas avant le vertige, elle a posé sa main,fragile et dérisoire rempart entre son désir et elle.

Comme un signe d'abandon ou de reddition.

Ou comme un signe incandescent, tracé entre le ciel et elle.