Deville-Chabrolle Journal d'atelier (retrouvé !)

La fille de la terre et du vent

Voilà une nouvelle histoire se termine dans mon atelier pour commencer sa vie ailleurs. Dans vos coeurs  peut être.

Elle s'appellera "la fille de la terre et du vent".

Non, je ne joue pas à l'artiste- pleine -de mystère en ne vous la montrant pas ce soir, c'est juste que j'ai oublié mon appareil photo à la maison.

Et , quand j'ai jugé qu'elle était finie, que l'essentiel était dit, et le superflu supprimé,quand je l'ai examinée minutieusement sous tous les angles , et que je l'ai remise sous ses voiles humides, quand j'ai refermé le sac plastique très soigneusement pour qu'elle soit à l'abri de la chaleur.... voilà, tout d'un coup je ne sais pas comment dire ça...Disons que puiqu'elle était là, dans l'atelier, je n'avais plus d'utilité à y être .

Je ne servais plus à rien.

Elle était là, ça suffisait.....

Après tout, ce sont peut être mes sculptures qui me créent chaque jour....

du bout du pied

La belle et moi nous nous battons contre la chaleur....je travaille un détail, une main, et laisse le reste du corps sous les linges mouillés.

Je vais boire un thé, brumisation d'eau et protection de plastique pour elle.Thé et repos pour moi.

En revanche la chaleur nous arrange pour le plâtre.

J'ai commencé l'armature du voile, rupture de stock de grillage ultra fin pour la sculpture, fait chaud faut se décider vite...système D de rigueur.

Je "tricote ",j'emberlificote", je "traficote" des fils de fer fins, recouverts de bandes plâtrées ,j'ajuste  les courbes et puis j'élargis le voile.

La terre mouillée, le jus de plâtre me coule le long des bras

mais ce soir, c'est mieux que sur la photo....restera à créer la matière demain.....

Enfin ma belle repose du bout du pied sur le voile que le vent pousse .

Quand toutes les armatures auront disparu......elle volera

Tout ce qui est caché

Lundi.

Fini de rêver.

Reprise en main sévère de la jeune personne.

Déshabiller et tout reprendre.

La sculpture c'est le contraire du laisser-aller, c'est de la rigueur, de la concentration, et l'oeil qui compare, mesure, évalue....C'est sans doute la sculpture qui m'a appris le silence......... encore beaucoup de corrections à faire à la fin de cette journée. Mais j'avance.

Trop facile de cacher certaines imperfections sous le prétexte du "de toute façons cette partie là sera cachée",  MOI; je le saurai que dessous c'est pas bien fini. Et ça suffira à gâcher mon plaisir.

Alors que ce soit pile ou face, caché ou pas, je veux qu'elle soit belle, je veux que celui ou celle qui l'achètera puisse deviner que sous le voile  existent les rondeurs de la hanche, la courbe de l'épaule, la cambrure des reins.

Fille de la terre et du vent

De cette terre dure sèche et craquelée, des déserts. Ou l'eau même, ne pénètre plus que par les failles que la terre ouvre au ciel.

Fragile et hérissée de défenses dérisoires, forte comme le vent qui l'a sculptée, elle avance vers sa lumière.

Elle s'élève vers son ciel.

Je l'aime comme ça, sous cet angle, tournée aux regards, tendue vers vers cette seule  lumière .

La vie la transperce, mais elle avance.
Elle avance seule, dans son désert à elle.

Le désert qu'elle s'est choisi.

Pas de terre promise, juste de la lumière promise.

Elle volera (suite)

Ses longues jambes se sont extraites de l'argile, de la matière lourde.

La gangue de terre derrière elle, se décolle de son dos.

ses bras fragiles vont se déployer comme des ailes.

Encore toute alourdie de terre, elle se déploie. vers le haut..vers le ciel.....

Elle volera j'en suis sûre.

Parce qu'un sculpteur réinvente chaque jour , le monde tel qu'il le rêve.

Parce qu'il ne connaît que la réalité qu'il crée.

elle volera

J'veux qu'elle s'envole...qu'elle ne touche plus terre...

Alors on a réhaussé l'armature.

L'apesenteur, l'élévation, je veux la légèreté du bronze.

Plus rien qui lie, qui rattache, qui tire vers le bas....

Elle volera....

La sensible balance

Et elle sous une autre forme, à la manière des femmes, dira comme Sisyphe.

A la manière des femmes , sans mots, sans la force des hommes et derrière des paupières closes.
Elle sera le contre-chant de Sisyphe..

Elle dira la non-appartenance, la liberté qu'il y a derrière le regard clos.

Elle dira comment le monde disparait quand on ferme les yeux, comment  il est alors juste possible de vivre. Elle lui dira comment fuir...
Elle est l'alternance au rocher, à la pesanteur.

Elle lui dira... comment, on est toujours d'un pied sur l'autre sur la sensible balance de nos souffrances.... entre pesanteur et légèreté.

Le désert de Sisyphe

Sisyphe, est revenu . Et  en dépit de ce que pensent certains, je trouve qu'il exprime assez  l'effort, la force, et la détermination, nécessaire pour pousser son rocher... Son rocher c'est à dire , ce caillou qui s'enfonce chaque jour un peu plus, dans nos gorges pour que ne sortent pas de nous , ce fatras accumulé de souffrances, de peine, de non-dits...

Assez de force pour pousser loin de lui tout ce qu'il transporte depuis l'enfance de blessures.
C'est un Sisyphe seul... et qui dit sa peine.

C'est un Sisyphe dans son désert à lui.
Enfermé dans sa peine et qui ne dira rien de celle-ci parce que son corps le dit pour lui.

Solitudes parallèles

Pour être tout à fait honnête  ...Je ne sais pas vraiment où je vais avec cette sculpture...

ce que j'éprouve en ce moment est assez difficile à décrire..un sentiment de déséquilibre, l'envie d'arracher de soi quelque chose de pesant, ou l'envie déjà exprimée dans quelques sculptures de lutter contre le pesanteur...ou les pesanteurs, pour être plus précise....

Ne plus être là, enracinée au sol, comme on l'est à sa propre vie..

Suis un peu triste ce soir, peut être parce qu'en revenant de Paris hier soir j'ai écouté, "je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part" ....

Vous savez comment c'est, on roule seule dans sa voiture le soir , c'est un peu magique ce voyage parallèle, en solitude.

La route et le récit, et dans la nuit une voix qui vous parle...

Le voyage de Shérazade

Partie depuis trois jours.

Ce matin tôt

Dernières corrections sur "Shérazade" .

Bras rallongés, et verger un peu plus fourni ...je trouvais que la pomme seule faisait un peu pauvre....j'ai rajouté raisin et feuilles

Et puis soutenue de partout, bras, mains, pour le voyage, elle est allée voir Antonio, pour le moulage.

Alors... il ne me restait plus qu'a prendre une autre armature pour essayer encore et toujours de sculpter ces mots que je ne sais pas dire...