Deville-Chabrolle Journal d'atelier (retrouvé !)

La petite Marie

Je me suis souvent demandé ce qu'on lui avait fait, dit, ce qu'elle avait vu, qui lui donne cet air si triste.

En tout cas de puis elle l'est restée. Profondément, organiquement, le regard est le même...
Qu'a-t-on fondamentalement compris à deux ans , qu'on mettra après toute une vie à chercher....

Petite Marie , toi et moi on se connait depuis si longtemps  et jamais tu n'as dit un mot sur ce secret qui t'appartient.
Viens je te prends par la main et on s'en va toutes les deux, on ne parlera pas puisque tu n'en as jamais envie.
Je resterai près de toi, on regardera le ciel et  on restera dans le pur silence qui est l'élément essentiel de ton âme de petite fille.

Nuit

"Ne me secouez pas...
je suis pleine de larmes"

Les périmètres clos

Je suis retournée à l'atelier, c'est mon navire à moi.

Un navire immobile, amarré entre deux jardins. C'est un navire qui rêve de mer en écoutant la rivière qui coule plus bas .

Mais quand j'y suis, je suis quand même en partance... Quand même ailleurs

J'ai recommencé à travailler quelques sanguines, la Galerie a peur de ne pas en avoir assez pour deux mois d'exposition.. Alors j'y retravaille un peu, je me reposerai après... Celle-ci est assez ancienne, elle est en haut près de la porte de ma chambre.

Il y a dans ce visage là, quelque chose qui m'a toujours émue, la transparence du regard, et cette bouche enfantine et triste, cette tristesse qui sort toujours de mes mains sans que je le veuille et qui couvre d'un léger glacis chaque regard, chaque visage... où et quand ai-je perdu la gaité que je devais bien avoir en moi au commencement... le tableau le dit sans doute.

Mais j'ai créé, ce tableau, sans prendre la peine d'en percer le mystère..Il faut que certaines choses nous restent étrangères. Il faut en nous des territoires clos. Des terres qu'on aura sans doute foulées qu'une seule fois et dont on perdra la mémoire à tout jamais.....

Foule sentimentale

C'est à vous maintenant qu'il faudrait donner la parole , parce que, ce vous m'écrivez, le plus souvent sur mon mail perso, ou ailleurs est bouleversant....

Ce sont vos histoires avec mes... j'allais dire nos sculptures, enfin bien sûr je les ai faites mais nous en avons parlé ensemble en cours de travail, avant , après, vous aussi vous avez mis dans la terre encore ouverte certaines émotions....bon, peu importe ....en tout cas ce sont vos histoires. Racontées avec  une sensilbilité, des mots pleins de délicatesse. Et puis il y a  cette tendresse, cet attachement qu'on peut avoir les uns envers les autres parce qu'on a fait un long voyage ensemble .

Vos mails sont  rares et précieux. Mais à chaque fois l'envie me démange de les publier parce que ce serait encore une fois l'illustration de cette "foule sentimentale" que nous persistons à être.....

Ce sont les émotions qui nous traversent ... qui donnent du sens à nos vies. C'est, quoi qu'on en dise, l'amour qui nous fait grandir, avancer.. C'est le besoin de tendresse qui coule dans nos veines. Toi, moi, nous, vous, on veut être aimé.... mais on veut pas être aimé assez.... on veut être aimé TROP. On veut pas qu'on nous parle avec des mots morts. On veut la sentir l'étincelle,  voir dans le regard de l'autre du désir pour la personne qu'on est. S'il le faut, on croira tous les mensonges qu'on dit aux enfants, ceux dont parlait Reggiani....parce qu'on a jamais dit qu'on ne voulait plus avoir d'illusions.....

"Et puis, petit Simon, chez nous personne ne vieillit, nous sommes là et ne crois pas, que nous partirons d' aujourd'hui pour habiter dans autrefois...

l'Amour c'est tous les jours qu'on le rencontre dans la vie, et rien ne passe et rien ne casse, redonne moi de l'eau de vie... que je te parle de la vie

Les femmes infidèles on les voit dans les aquarelles, elles nous querellent sous les ombrelles, dans la vie ce ne sont pas les mêmes , elles nous aiment elles nous aiment...

Un homme, petit Simon, ce n'est jamais comme un navire,qu'on abandonne quand il chavire et tout le monde quitte le bord, les femmes et les enfants d'abord..

Tu verras
les maisons ne meurrent pas, les idées ne nous quittent pas, le coeur ne s'en va pas
tu verras....."

Porte close

C'était un week-end "porte et volets clos" comme je m'en fais souvent.  Un de ces week-end d'hiver, où l'on s'est assuré d'avoir des livres , du thé, et de la solitude en quantité ......et puis il s'est passé un phénomène étrange, cette maison fermée a laissé passé toutes sortes d'ondes téléphoniques,  electroniques, électromagnétiques même, enfin je ne sais pas comment les appeler. Et ces ondes portaient avec elles une sorte tempête émotionnelle, de violents courants, hautement perturbateurs de ma petite météo personnelle, des anticyclones inespérés,se sont installés sur mon territoire. Il s'est passé en un week end plus de choses que dans plusieurs années de vie....

Alors si maintenant même porte close, la vie peut entrer chez vous, et mettre son heureux désordre. Je m'incline....

Banque des souhaits

J'ai retrouvé cette carte que mon magicien, m'avait offert, et comme bien sûr c'est un vrai magicien...ses talismans marchent.

J'ai regardé la carte ,très fort sans sciller ( c'est super important) et je me suis souhaité plein de bonnes choses, un bon vernissage, des sculptures aimées, des amours etc...etc....

J'ai décidé de partir en guerre, contre moi même ,

contre l'enlisement,

contre les calendriers mangeurs de cervelles qui vous disent" plus que 18jours avant le vernissage...plus que 17jours..."tout ça avec une voix sépulcrale: qui vous fout la trouille quand il fait nuit et que c'est juste impossible de s'endormir et que vous devez monter un escalier, vu que la chambre est à l'étage .

De partir en guerre contre le petit cercle de lumière que fait la lampe sur le bureau, juste à côté du petit cercle de chaleur que fait la tasse de thé, dans le cercle de l'isolement...

respire Marie, respire...pars, sauve toi.....

L'enfant sage

Pendant plus d'une semaine, j'ai été "L'enfant sage".

L'enfant sage du docteur, de l'infirmière, et même , mon propre enfant sage: "Dors, essaie de manger, repose toi ".

La chambre était bleue comme l'autre, celle des vacances, sauf qu'il y avait l'éternelle repro , sous verre, "Summer House", elle s'appelait, la mienne. Les fleurs qui s'excusent ici, d'avoir des couleurs trop vives, trop vivantes. Et le temps qui perd son temps, qui se liquéfie dans le bleu pâle, dans la transparence des visages, le temps qui devient incohérent entre ceux du dehors et ceux du dedans. Même l'air qu'on partage n'est plus le même, quand on les embrassent, leurs joues sentent la pluie et le vent froid de Novembre, ça sent la terre, les feuilles mortes, le cuir de la voiture, n'importe quoi, mais pas cette odeur fade et uniforme qu'on a tous... ceux du dedans.

Bon, je suis rentrée.... pas depuis assez longtemps pour être déjà du dehors, mais trop pour être encore du dedans.....

Je suis rentrée et je vous embrasse très très fort, ceux du dedans et ceux du dehors.

Tout juste le courage de se coucher

Je suis malade depuis quelques jours , je me sens comme cette petite sculpture photographiée dans un coin de la fonderie il y a quelques temps. Grisâtre et mal foutue.

De mon lit à mes livres, au canapé du salon et retour. Entre temps de l'eau, aucune nourriture solide ou presque, mon estomac est en rebellion... Je dors , je dors, je crois que mon corps attend ces moments d'inactivité pour me dire tout le mal qu'il pense de ma manière de le traiter habituellement....

Je repense à cette phrase de Paul Auster "Si l'on avait une perception infaillible de ce que l'on est on aurait tout juste encore  le courage de se coucher, mais certainement pas celui de se lever"......

Un peu de bleu dans les gris

Ce soir-là, elle rentre de voyage fatiguée. dans le jardin la voiture a roulé doucement sur les feuilles mortes, avant de s'immobiliser devant le mur de pierre. Tous les gestes las du retour, ouvrir le coffre pour en retirer son sac de voyage, son sac à main, les documents.. Elle ouvre la porte, la maison est vide un peu sombre et froide. Sans même y penser, c'est d'abord un thé brûlant dans la cuisine. Du thé, aucun bruit, juste la lumière du répondeur qui clignote au salon...Mais pas le courage... Une cigarette, la fumée rejoint celle du thé,  le silence, la lumière qui quitte doucement la cuisine.

Faudrait bouger, dénouer cette fatigue, allumer la lumière, faire semblant d'être dans la vie  de nouveau, ranger le sac de voyage, remonter le chauffage..mais finalement  elle prend son thé, enjambe le sac de voyage et préfere aller devant son ordinateur, sa messagerie.. 15 messages... pubs, horoscopes, news letters, et autres....dans l'espace réduit de l'écran la minuscule faillite des mots quotidiens..."un peu plus de gris dans les gris,s'il te plaît, non pas si noir, juste gris..." Et puis ces mots là:
"Cette communion des âmes est une chose délicieuse
Vous êtes, en effet, comme une plume, qui descend des cieux, en silence, dans l'harmonie, dans le respect et l'amour de son entourage.
Vous chutez sur un tapis de tendresse, et vous déplacez, mûe par le tiéde souffle de l'humanité.
Vous allez de l'un à l'autre, apportant votre cortège de joies et de bien-être; vous êtes plume de coeur et d'esprit; vous visitez notre monde et l'imprégnez de votre lumière, de votre authenticité.
Par vous et grâce à vous, nous découvrons l'essentiel que la superficialité nous avait caché.
Vous êtes un révélateur, un nouveau mode d'être, où la tricherie est exclue.
Puis, vous regagnerez votre paradis, en ayant laissé un témoignage concret de ce pourrait être une heureuse humanité, "

Ce n'étaient pas les mots d'un amour, non juste ceux d'un ami. Et même si elle sait qu'elle n'est pas tout cela, et même si elle sait qu'elle ne mérite pas toute cette tendresse-là, lui qui ne la connait pas "pour de vrai", lui, a été chercher tous ces mots-là pour elle, pour elle toute seule, parce qu'il l'aime bien.

Elle rentre de voyage et pleure devant son ordinateur...

Imprimerie MARIE

J'ai passé une journée et deux nuits à Honfleur.

Pas à me promener sur le port, pas à visiter les galeries, non, enfermée dans une pièce, devant un ordinateur pour visionner toutes les photos et revoir chaque texte de la plaquette de l'expo et du livre des 15 ans de sculptures qui va sortir à cette occasion.

Le matin tous les textes, pour traquer la mauvaise césure, le bien fondé d'un point ou d'une virgule, et après le déjeuner de 2h à 22h à revoir les photos une par une,( je remercie Cyril au passage de ne pas m'avoir assassinée ce soirylà) .

Chaque photo accompagnée de ce genre de dialogue: " oui pas mal ... mais en enlevant un peu de vert  dans la couleur de la patine, encore un peu de jaune dans les bleus, non finalement ...peut- être en jouant sur le rouge dans les gris, oui c'est mieux maintenant avec un peu plus de contraste, oui mais un poil moins...et si tu mets un peu plus de luminosité...oui là c'est bon, on enregistre..." (Soupir de soulagement de Cyril) bon, on passe à l'autre.. Il y en avait au moins deux cents....

Mais après ... aller dîner dans le dernier restaurant qui accepte les clients tardifs, fumer une dernière cigarette sur les quais en rejoignant l'hôtel sans se presser, sous la pluie douce... lire une dernière page de Doggy bag de Philippe Djian avant de se glisser sous la couette...
Si c'est pas le bonheur, ça y ressemble.