Deville-Chabrolle Journal d'atelier (retrouvé !)

La rive intime

Hier soir ...

L’eau commençait à bouillir pour le thé. La maison était silencieuse.
Je me suis mise à exister à peine pour ne pas déranger le monde.
La pluie, les feuilles de thé qui se dépliaient sans bruit dans la théière. La lumière épuisée qui sombrait dans la maison. Aucune raison de déranger l’ordre des choses Aucune raison d’exister plus fort que tout ce qui était autour de moi. J’ai laissé passer ces mots devant mes yeux.

Eloge de la fuite.
Lâcher prise.
Laisser faire.
Faire l’impasse………

De l'influence de la météo sur les sculptures

Ce matin j'ai bu mon thé, assise sur les marches de la maison

Avec le soleil tout tiède sur les pierres, sur ma joue, sur le chat roulé en boule.

Je sais,  a priori rien à voir avec la sculpture et pourtant....

Le petit nu que je suis en train de faire, a bien senti, elle, le changement.

Je l'avais laissée hier, un peu boudeuse,sous ses linges, et aujourd'hui ... insensiblement, au cours du travail, sans même que je n'y prenne garde la position de la tête a changé, comme si elle aussi voulait capter un peu de cette douceur là.

Pas des heures.... du Temps

Grosse journée de travail.

J'ai commencé tôt à l'atelier, journée non-stop.

L'armature était prête,  une fois la première jambe faite, Jérémie, mon "urgentiste" est venu souder la seconde.

En fin de journée, les volumes sont à peu près placés, et le visage bien avancé.

Les Galeries ont besoin de petites pièces. Je les fais avec bonheur, mais.....

En fait, je cours après mon expo, je veux reprendre le fil de ma réflexion là où je l'ai laissé...

Je veux retrouver le "monde" dans lequel j'étais, il est encore trop tôt pour l'abandonner...

Je veux encore replonger mes mains dans le coeur rouge de la terre, et en sortir des personnages dont je ne sais encore rien...

Comme j'y avais trouvé le "pélerin", le "crieur d'âmes" ou le "porteur de chagrin"

Il y en a d'autres, je le sais, je le devine, il me faut encore du temps....

J'aime un point rouge

Très tôt le matin,  lorsque je me connecte au blog, sur la petite carte du monde, tout en bas .. Il y a deux petits points rouges
L'un que je situe assez mal, du coté de la Russie je pense, et un autre en France, moi sans aucun doute.
L'indicateur indique deux visiteurs.
J'ai fini par aimer cette présence-là, au petit matin. j'aime partager cette petite heure du jour , le sentir là, à ce moment où je me tiens à l'orée de la journée, tasse de thé à la main, incertaine, et désoeuvrée. Je suis déçue et triste quand il n'est pas là.
Depuis peu, ma solitude se teinte de points rouges. Je sais c'est dérisoire et pourtant profondement tendre.

Hommage aux garçons

Serge et Jérémie.
Ce soir, je voulais leur dire merci.

Parce qu'après le moule à creux perdu, fait directement sur la terre crue, les sculptures nous reviennent le plus souvent, découpées et un peu... amochées...
Et puis, mea culpa, quand les mains sont sculptées directement dans leur position définitive, il est impossible de passer dessous, entre le corps et la main pour la modeler.

Alors les garçons sont là, avec leur savoir-faire, et une patience d'ange, pour reprendre toute la pièce. Tout est revu, corrigé quand je le leur demande, refait si nécessaire. Alors on pourrait dire ... oui, mais dans cette position l'intérieur de mains ne se voit pas... Mais nous on le voit, et chacun pour des raisons personnelles aime cette sculpture, et là on se met tous les trois à la regarder sous toutes les angles, à marquer les corrections, à ajouter du volume ici, en enlever là..

Moi, je repars à ma nouvelle sculpture et trois ou quatre jours après il me rendent ma pièce: parfaite, polie comme un marbre.

Je les aime.
Je suis fière d'eux.

Et la nuit effacera tout

Je n'avance pas très vite sur cette sculpture..

Pas de difficulté particulière, juste peut- être que le "vraie vie" est entrée un peu par effraction ces temps-ci dans la bulle.

Aussi je suis un peu dans ce territoire marécageux, ni dans mon travail, ni vraiment efficace dans la vie.

Ici, je ne reconnais plus rien:
Le Temps est redevenu des heures

Fini être libre possesseur du silence.

Alors la fatigue s'insinue, comme une lenteur ancienne.

 

D'habitude quand je ferme la porte de l'atelier  l'obscurité, l'humidité,et le silence envahissent tout.

Et une autre vie commence entre la terre et l'eau .

 

Ce soir, j'ai juste fini mon travail..C'est rien et ça change tout.

A la nuit tombante, je me ferai un dernier thé brûlant, devant le fenêtre, face au jardin qui s'ourlera de bleu ..

il parait que demain est un autre jour...      

Un printemps comme l'hiver

Dimanche

Une lumière froide et grise filtre à travers les grands arbres du jardin,
Il est tôt, il va falloir affronter la journée.
Mais, cette lumière-là, vous ferait perdre courage.
Pourtant on a vidé, épuré sa vie, pour que seule la sculpture subsiste.

On se dit aussi que puisque on épure sa vie
Les œuvres aussi, seront épurées.
Qu’a force de travail et de réflexion on peut approcher de l’essentiel,l’approcher seulement…..
Et je sais que si je m’approche de l’essentiel, je m’approche aussi se ce que je suis réellement.

Et c’est là évidemment que la peur attend.

La sale peur,
Celle qui depuis toujours nous fait trembler et suer.
La peur de soi.

Mais est-ce qu’un être humain a un autre choix, que d’aller vers ce point-là ?
Point de rupture, peut être.
Mais aussi  point ou se concentre la lumière.
Même si on sait que cette lumière-là peut vous réduire en cendre.

Samedi

Pas de week-end à Paris, parce que la Vie en avait décidé autrement, pour la famille de Flo, avec la brutalité dont elle sait faire preuve.

 

Vendredi derrière la "Petite méditante" se tenait en attente l'ébauche d'une autre sculpture, je l'ai avancée ce matin, uniquement ce matin, attentive aux inquiétudes des miens qui trouvent que je travaille trop.

Et puis pas trop le coeur à ça...

La fonderie ou la recherche de patines

La fonderie est le monde des hommes, du feu, du métal et du bruit ;

Olivier Delmas y règne en maître débonnaire.

Je m’y rends assez souvent pour vérifier une cire, une ciselure, et surtout choisir la patine d’une nouvelle sculpture.

La couleur est un vrai problème pour moi.

Parce que je n’ai pas les mots.

Au Brun Rouge, noisette-sans vert, ocre qu’on me propose... je ne sais que répondre : " je ne sais pas je veux une couleur très douce, qui n’accentue pas tel ou tel caractère de la sculpture, ou je veux un bleu-vert.. Tu vois…quelque chose de très liquide, de très très transparent »….

Les couleurs sont des sentiments pour moi, alors bien sûr…..

Olivier s’arrache les cheveux.

Le pélerin

Vous le connaissez, vous l’avez sûrement vu passer un jour.

Celui qui marche au devant de son rêve.

Que nulle parole, nulle mise en garde n’arrête.

 

Il est en quête, et rien ne l’arrêtera, il y a des rêves plus forts que la vie.

Ce n’est pas un prophète, il n’apporte pas la bonne parole.

Nul avertissement, nulle mise en garde ne l’arrête.

C’est un homme, seul, en quête de lumière.

Et c’est ainsi, parce que la vie est brutale, parce qu’elle nous impose des limites.

Que le temps est notre ennemi, et que notre seul espace de liberté c’est cette marche… contre.