Deville-Chabrolle Journal d'atelier (retrouvé !)

Sérénité

J'aimerais avoir sa sérénité....
Hélas ce n'est pas le cas, j'ai fini cette petite pièce de trente centimètres, ce matin.
Cet après midi, j'en ai poursuivi une autre
Ce week end j'irai travailler chez Flo mais elle nous a réservé une "récréation de choix".
Patrice Chéreau disant des textes d'Hervé Guibert aux Ateliers Berthier-Théâtre de l'Odéon.

Sankai Juku la semaine dernière à Lyon, nous avait coupé le souffle.
Patrice Chéreau cette semaine..... heureusement qu'il y a les livres, la danse, le théâtre..pour se "réalimenter "sinon je crois que je finirais lobotomisée par ma passion de la sculpture.

La nuit des absentes

Chacune est unique mais le groupe, leur donne la force de ces rêves, un peu obsédants.

Ce sont des femmes nocturnes.

Nocturnes, parce qu’émergeant de nos rêves, de notre inconscient.

Légèrement décalées par rapport aux images féminines classiques, dénuées d’expression,

à la frontière de la réalité, à la frontière de la normalité, leurs déplacements silencieux suggèrent un réseau, de relations entre elles, qui nous demeure fermé. Un langage gestuel dont nous n’avons pas la clé.

Ces mondes là, ceux de "La nuit des absentes", ceux de "La nef des fous", et d’autres coexistent dans mon imaginaire. 
Ils le peuplent, interfèrent dans ma vie, et se superposent quelquefois de manière troublante à la réalité.

Ce sont de minuscules glissements de terrain, d’infimes catastrophes naturelles, qui rendent la réalité toujours incertaine. 

Coup de blues

Après le gros coup de blues d'hier, quoi de neuf? 

Rien... j'ai continué à avancer...

"Le pèlerin" et moi même combat.

Pour pouvoir me remettre dans le sillon de mon exposition, j'ai travaillé triple.

Trois pièces sont en cours pour les galeries.

Celle qui s'appellera "l'Heure trouble" est terminée et deux autres sont en cours.....

J'ai fait un rêve

Voila quinze ans que je sculpte.
Quinze ans que j’expose en permanence dans de nombreuses galeries.
Quinze ans qu’on dit de moi que je suis un sculpteur qui « marche».
Quinze ans que je vis très bien de ma sculpture. Merci.
Merci la vie pour tout cela.

Mais j’ai fait un rêve
J’ai rêvé que je rencontrais un propriétaire fou et un mécène aussi fou que lui. Le premier, me prêtait un lieu, n’importe lequel. Un lieu, qui serait à lui et dont il serait amoureux. Un jardin, un couvent, une usine désaffectée, une chapelle en ruine, un palais marocain, une villa italienne ou un théâtre désaffecté, n’importe.
Un lieu, ou je pourrais imaginer un monde, et ses personnages.

Et les sculpter, et les mettre en lumière et  choisir de la musique.

Le second, un mécène suffisamment fou d’art,
Pour me permettre d’avoir un atelier à coté.
Et me permettre de travailler pendant deux ans sur ce projet.
Et éditer les sculptures.
Flo, pourrait en faire un film, de ces deux ans de travail…
Et Claire pourrait prendre les photos et les exposer en même temps.

Je sais que ces deux fous existent, quelque part…
Je sais  qu’il suffirait de les rencontrer.
Je sais que je ne sors jamais de mon atelier
Et que je ne rencontre jamais personne
Mais je sais qu’ils existent.
J’ai besoin de le croire.

La Nef des fous

On les qualifie souvent de guerriers, il n’en est rien.
Pas d’arme, pas de confrontation, pas de menace.

Ce sont seulement  des êtres humains qui se livrent à une activité qui nous reste mystérieuse. Ces hommes se livrent à une de ces agitations humaines qui me demeurent fermées, dont le sens m’échappe.

Incompréhension non dénuée de fascination d’ailleurs.

Depuis l’enfance j’ai pratiqué ce que j’appelle aujourd’hui, "l’art du retrait", l’art de se faire oublier...
J’ai beaucoup amélioré, au fil du temps, mon degré de transparence.
Pour essayer de comprendre ce mystère de certains  comportements humains.
Pour juguler ma peur du nombre, de la foule agissante.
Pour percer le mystère ou le laisser clos sur lui-même.

Le laisser clos,  je crois que c’est encore ce que je préfère.

Lundi, la ruche dans tous ses états

Les plâtres sont rentrés.

Serge qui adore les détails et le travail minutieux a pris en main "Le pèlerin"

Jérémie lui a commencé à enlever le plus gros sur "Le porteur de chagrin"

Claire est là pour une nouvelle série de photos

En fin de journée, elle a jeté son dévolu sur "son homme préféré", "Le pèlerin".

courte lutte avec Serge dont c'est aussi le chouchou, mais il était 17 heures... Serge a dû abandonner...

Justine, là-haut dans le bureau, est toujours calife à la place du calife, pendant que Marie-Hélène est en vacances.

Hélas pour Ju .... son règne finit demain !

 

Moi, loin des luttes intestines, j'ai commencé une petite femme.....

Dimanche

Claire est revenue faire des photos,

voila ce que voient les yeux de Claire, dans l'atelier...

Je ne sais rien des gens, tant que je ne les ai pas vus, entendus, "disponibles et à certaines heures pâles de la nuit" comme dit Léo Ferré .

A ces heures-là, Claire m’est apparue comme quelqu’un en qui la vie était  plantée comme une écharde. Ou, comme si elle-même, était une écharde dans la peau de la vie.

 

A notre première rencontre elle n’était pas là. Nous ne nous connaissions pas, nous ignorions même l’existence de l’une et de l’autre.

Et pourtant jamais rencontre ne fut plus évidente et forte.

 

J’étais chez Flo, ma meilleure amie.

Il y avait une photo en noir et blanc. "L’objet" c’était son titre.

Cette image là, restera pour toujours  l’image associée au visage  de Claire. En un regard, en une image….

J’avais été débusquée au plus intime, à l’un des centres névralgiques de mes angoisses. Touchée en plein cœur.

Une seule image, là ou il m’aurait fallu des pages et des pages incertaines et douloureuses pour le dire.

 

J’ai acheté la photo, et j’ai su d’instinct que c’était ce "regard-là", cette "sensibilité-là" qui saurait, non seulement pénétrer l’âme des sculptures, mais qui saurait même, en extra- lucide qu’elle est, me les rendre avec quelque chose en plus.
Le plus, étant peut- être, l’absolue pureté de son regard.

Demain jour des départs

Le vendredi traditionnellement, c'est le jour où les sculptures partent chez le mouleur.

Les bronzes reviennent, eux, de chez le fondeur.

Les deux  hommes de "La nef des fous" et du "Rêve du philosophe", ont été poncés, savonnés.

Ils doivent subir l'épreuve du moule élastomère.

Mes hommes-foetus (titre provisoire: "Les arches de la nuit") n'ont pas très fière allure. Ils partent chez Mr Renault pour leur creux perdu.

Je sais, c'est idiot mais je n'aime pas les voir partir... tant qu'ils sont là, ils font encore partie de mon imaginaire, ils sont les mots que je n'ai pas su dire, les peurs dont je ne parle pas.

Ils ne sont sous le regard de personne, sous le jugement de personne, pas d'explications à donner, pas d'existence réelle.

Me restera encore demain "L'imprécateur" dont le titre final commence à émerger. Peut-être le "crieur d'âmes". C'est l'histoire que je me suis racontée ou qu'il m'a soufflée, impossible à dire.

Voilà dans un autre monde, il y aurait une personne qui vivrait en dehors de tout groupe, tribu, village que sais-je, un homme qu'on irait voir de nuit,  la peur au ventre. Il serait peu chaman, un peu ermite, un peu Saint ou un peu diable, on irait le voir quand on aurait trop mal à l'âme, ou que l'âme de quelqu'un vous manque trop.

Lui sait ..

Pas de hasard

On avance lui et moi.

Chaque sculpture me réapprend l'humilité

Avoir toujours un livre d'anatomie près de soi, revoir la structure d'un pied, l'attache des muscles...

essayer être plus juste de détails en détail.

Toute une journée pour faire deux pieds, deux genoux et la distance qui les sépare.

mais surtout ne pas perdre de vue, que le savoir faire n'est presque rien.

Il n'est utile que pour maintenir des pieds à la tête, le sens de la sculpture

La crispation des muscles du dos, des bras et des mains, l'expression du visage pour dire la tension du questionnement des êtres humains vers ce ciel toujours muet.

 

Je viens de lire "L'évangile selon Jésus-Christ" de José Saramago que Claire m'avait offert, et que j'ai adoré.

En quatrième de couverture, on lit : "Au centre de ce contre-évangile, mêlant histoire, mythe et fiction, J; Saramago pose la question essentielle du rapport entre le plus absolu des pouvoirs et une impossible liberté".

 

Pas de hasard

Savoir prendre de la hauteur

Au propre comme au figuré.

Cet homme me tue, "L'Imprécateur". "Le crieur d'âmes"

Je monte sur ma table levante, je fais des corrections, je redescends voir si tout va bien.....et je remonte.

Et ce toute la journée, enfin comme je le dis à chaque fois,"il est presque terminé, on va pouvoir commencer à travailler" !

Les volumes sont à peu près en place à quelques exceptions près. L'attitude aussi, l'aplomb est bon, maintenant il faut le reprendre des chevilles aux pieds pour tout revoir, et travailler le détail, le modelé, les proportions des volumes les uns par rapport aux autres et l'expression....

 

De bonnes nouvelles de Flo concernant le film qu'elle a tourné à l'atelier, qu'elle met en scène et monte. On doit travailler encore ce week end (après avoir été à Lyon voir le ballet de Sankai Juku), et le week end prochain. Mais ça avance bien.
Et puis les moments passés avec flo, meme si c'est bien sûr du travail, c'est ... .indéfinissable, et nécessaire. C'est l'amitié quand elle vous rend plus riche, plus fort, plus lucide, plus intelligent et plus stupide de tendresse à la fois...

 

Autre bonne nouvelle, Claire revient à l'atelier le 16, pour une nouvelle série de photos, on verra celles qu'elle a prises la dernière fois, et ça c'est toujours un grand moment de nos retrouvailles.