Deville-Chabrolle Journal d'atelier (retrouvé !)

Terre de ciel sec

C'est une photo "noir et blanc "d'une terre quelconque en cours de travail et pourtant quand je la regarde je m'y vois plus semblable à moi même que dans n'importe quel miroir.

Paupières baissées sur la géographie que je porte dans mon sang, sur ma peau. Je ne suis pas une terre fertile ,je suis une terre ou rien ne pousse, parce qu'elle ne prend son eau que du ciel.

C'est une terre maigre, pleine de failles de crevasses, mais capable de prendre de l'eau au vent et à la nuit. Sa sécheresse est un amen , parce le moindre lichen qui y pousse se fige aussitôt dans la moelle des pierres...et y exhale son parfum

je suis une terre de ciel sec...

Non

Cette photo me trouble énormement.

Je me dis bien sûr, que jamais mes sculptures ne seront à mes yeux des objets, et les voir sous la morsure acide du feu ne peut  me laisser indifférente, mais il y a autre chose ..Nous sommes reliées elles et moi par tant de fils invisibles, de petits éclats de miroir dans lesquels il m'arrive de me reconnaître.

Peut-être est-ce dû à cette pose qui semble si  rigide, inflexible comme quelqu'un qui mettrait toute son énergie pour endiguer, retenir et contraindre quelque chose en soi.

Peut-être retenir l'expansion du silence, cette violence  qui taira son nom à jamais, cette rage enfin qui tourne comme un animal en cage et qui fait que..... non, la nuit ne sera pas douce...non je ne dormirai pas bien.

La nef des fous

Hier à la fonderie Chapon, m'attendait la dernière mise au point de " La nef des fous" une grande sculpture qui devait être à l'expo de Paris.

Et puis... l'élaboration à été si longue, les problèmes techniques si nombreux à surmonter, que voilà, ce n'est que ces jours ci qu'elle se termine et un peu différente de mon idée première mais plus forte, plus riche de sens.

Il en est ainsi de certaines oeuvres qui n'acceptent aucun compromis. Ni de temps, ni d'argent (pour répondre à mich L) Une oeuvre à son énergie propre, ses exigences, ses résistances, son temps d'évolution qui n'est pas toujours le nôtre.

Et pour le coup, on est au coeur même de l' HUMILITE.

  L'oeuvre se fait dans le temps et l'espace qui lui est nécessaire

L'or et le feu

En début d'après midi au sud de Paris.

Fonderie DELVAL, là je retrouve Olivier qui s'occupe de toutes les autres pièces...petit tour à l'atelier cire ou "l'éloge de la paresse" se fait belle, se prépare à la coulée du bronze... elle a l'air de prendre ça avec beaucoup de détachement... manque d'expérience!

GAIA , elle, a déjà connu tout cela , elle attend sa patine  la morsure des acides et du feu...encore quelques instants volés , dans un autre univers.

La fonderie est l'univers des hommes, du bruit, du métal et du feu... Je les aime ces hommes qui travaillent ici, j'ai toute la tendresse du monde pour eux...
Ils ne sont pas bavards,  moi non plus. Eux parce qu'assourdis par le bruit et moi par le silence....... Mais le soir on est pareils eux et moi. On porte dans le sang  le plomb noir de la fatigue.

Retour... fin d'après midi d'hiver, il pleut sans arrêt, il fait froid...je voudrais être chez moi

L'épreuve du feu

Jounée passée dans la voiture à aller de fonderie en fonderie. Au nord de Paris, fonderie CHAPON , où Eric s'occupe de la destinée de certains de "mes hommes"....
Le pèlerin après avoir été coulé, est reconstitué....
"les abattis" (parties de la pièces découpées )soudés; les trous d'évents (par lesquels le métal en fusion a coulé) bouchés.
Tout repassera à la ciselure pour que l'on ne voit plus aucune trace de toutes ces blessures.

Le pasteur est encore presque brut de fonte, il porte encore les stigmates de la fonte...sur la tête et la jambe le métal solidifié dans les évents...et sur le corps les gerçures du bronze, les coutures...
Je les trouvent particulièrement beaux à cet instant de leur métamorphose.

J'en garderai un un jour pour moi.
Un qui revient de sa guerre.

Nouvelle histoire

L'une part, l'autre se profile..... Derrière la dernière photo de "la passante"....(je n'ai pas encore trouvé son titre définitif ) commençait à naître une autre femme.
Une autre histoire.

Encore toute close sur ses mystères...et pourtant ... dans cette ébauche raide et grossière je sens déjà, que celle là , c'est vers le ciel qu'elle se tend..

Je pressens en elle un chemin de verticalité vers la lumière.

Mais nous sommes dans notre première rencontre elle et moi... et l'on ne peut jamais rien prédire d'une nouvelle rencontre.....

Je vous raconterai......

Le point d'équilibre

Elle a tant et tant marché .........
Et ce soir, la voilà au sommet de cette colline, appuyée sur son bâton, à regarder son territoire à ses pieds...
Plus aucune raison de presser le pas.....

Peut-être qu'elle regarde sa maison. Le pèlerin disait: "Chez nous on bâtit avec l'eau du ciel. Nous la recueillons, nous la gâchons avec la terre. Nos maisons sont faites de pluie, ce sont des nuages plutôt que des maisons"*

Elle est au juste point d'équilibre entre la fatigue et l'abandon.

Au juste point d'équilibre entre la nuit et le jour....

Qui pourrait lui reprocher de vouloir rester là, seule, dans l'ultime  vibration du silence

* Erri de luca

Tous les suds

Elles sont comme ça mes sculptures, secrètes , silencieuses, patientes...

Tant que leur visage n'existe pas, elles se refusent à réveler quoi que ce soit de leur vie, de leurs liens plus ou moins souterrains.

Le visage est le point de convergence... celui là était à la croisée de tous les suds imaginaires..... les premiers mots disaient une terre sèche et poussièreuse, la longue marche du" Pèlerin",et les silences du pasteur...selon toutes apparences elle a foulé les mêmes territoires qu'eux....

Pour le moment je n'en sais pas plus.....

L'infinie patience du sculpteur répond à celle des sculptures

Julie

Ce matin première séance de pose avec mon nouveau modèle Julie...

Nous nous sommes déjà rencontrées deux fois juste pour parler, pour s'apprivoiser...

Pas si facile de trouver un bon modèle .

Il ne  suffit pas d'être jolie, d'avoir un corps harmonieux. Il faut qu'elle ait de l'intelligence, de la patience devant mes hésitations ou mes recherches, de la sensibilité et si tout cela est soupoudré d'une pincée d'humour et d'autodérision de part et d'autre alors ça fonctionne terriblement bien.