Deville-Chabrolle Journal d'atelier (retrouvé !)

Son silence

Je l'ai aidée heure après heure à se défaire de la gangue de terre. Un accouchement long et difficile. Toutes deux dans le même effort, des heures et des heures.

L'atelier était vide, vacances , congés..... alors,  juste elle et moi.

Ce soir, quand je me suis arrétée il faisait nuit... j'avais mal aux mains,au dos,  j'ai donc fait un thé et me suis assise dans mon fauteuil.

Je l'ai regardée longemps...

Et j'ai compris pourquoi le silence de la "petite idole" ...

Trop fatiguée ce soir , mais demain promis je vous raconte.

Distance

La petite idole, me tient toujours à distance....

Nos rapports ne s'améliorent pas. Elle a même détourné le regard, je crois qu'il faudra encore de la patience ...il faudra élargir encore le cercle de  silence autour d'elle, pour avoir, peut-être, la chance d'entendre les premiers mots de son histoire.

il m'a semblé cet après midi que le silence s'effritait , se désagrégeait, mais j'ai fait comme si de rien n'était.

La petite idole

 Ce soir une petite idole commençait à émerger de son absolu silence de terre.

Bien que j'ai été toute la journée , aux soins de la belle, elle ne m'a pas encore jeté le moindre regard et encore moins adressé la moindre parole.

Il semble évident qu'elle n'était pas prête à être  si tôt, et si brutalement  exposée à la lumière , j'ai presque des regrets d'avoir dérangé l'ordre des choses.on devrait laisser les sculptures là où elle vivent ... dans le chaud de la terre.

D'autant qu'on ne sait jamais  de quel songe on les réveille, de quelle conscience obscure on les arrache...

Alors , elle est là, conviée à nos regard.
Mais elle, elle choisit l' absence.

Nouvelle histoire

L'une part, l'autre se profile..... Derrière la dernière photo de "la passante"....(je n'ai pas encore trouvé son titre définitif ) commençait à naître une autre femme.
Une autre histoire.

Encore toute close sur ses mystères...et pourtant ... dans cette ébauche raide et grossière je sens déjà, que celle là , c'est vers le ciel qu'elle se tend..

Je pressens en elle un chemin de verticalité vers la lumière.

Mais nous sommes dans notre première rencontre elle et moi... et l'on ne peut jamais rien prédire d'une nouvelle rencontre.....

Je vous raconterai......

Le point d'équilibre

Elle a tant et tant marché .........
Et ce soir, la voilà au sommet de cette colline, appuyée sur son bâton, à regarder son territoire à ses pieds...
Plus aucune raison de presser le pas.....

Peut-être qu'elle regarde sa maison. Le pèlerin disait: "Chez nous on bâtit avec l'eau du ciel. Nous la recueillons, nous la gâchons avec la terre. Nos maisons sont faites de pluie, ce sont des nuages plutôt que des maisons"*

Elle est au juste point d'équilibre entre la fatigue et l'abandon.

Au juste point d'équilibre entre la nuit et le jour....

Qui pourrait lui reprocher de vouloir rester là, seule, dans l'ultime  vibration du silence

* Erri de luca

Tous les suds

Elles sont comme ça mes sculptures, secrètes , silencieuses, patientes...

Tant que leur visage n'existe pas, elles se refusent à réveler quoi que ce soit de leur vie, de leurs liens plus ou moins souterrains.

Le visage est le point de convergence... celui là était à la croisée de tous les suds imaginaires..... les premiers mots disaient une terre sèche et poussièreuse, la longue marche du" Pèlerin",et les silences du pasteur...selon toutes apparences elle a foulé les mêmes territoires qu'eux....

Pour le moment je n'en sais pas plus.....

L'infinie patience du sculpteur répond à celle des sculptures

Julie

Ce matin première séance de pose avec mon nouveau modèle Julie...

Nous nous sommes déjà rencontrées deux fois juste pour parler, pour s'apprivoiser...

Pas si facile de trouver un bon modèle .

Il ne  suffit pas d'être jolie, d'avoir un corps harmonieux. Il faut qu'elle ait de l'intelligence, de la patience devant mes hésitations ou mes recherches, de la sensibilité et si tout cela est soupoudré d'une pincée d'humour et d'autodérision de part et d'autre alors ça fonctionne terriblement bien.

Des heures de terre

Je travaille..... je regarde ma sculpture ......mes mains n'ont pas besoin de mes yeux pour trouver le bloc de terre.

Elle,  la sculpture, je ne la lâche pas du regard une seconde.

L'oeil mesure.... l'espace entre l'épaule et le cou.

Ma main écrase et un morceau de terre sur le ventre , la hanche.

L'oeil mesure .

Chaque sculpture a un épiderme et cet épiderme je le crée sous la pulpe de mes doigts;

L'oeil mesure.

Ainsi passe la journée ....dans le silence......juste l'horloge qui égrene le temps

Le soir

J'ai travaillé, toute la journée, et ce n'est que vers le soir que j'ai senti les crampes les doigts, le poignet droit douloureux, le dos irradié de douleur.....et en plus l'atelier était presque dans le noir .

Le soir je regarde mes mains.

Je repense à cette phrase lue hier :"Je regarde l'attache de ses mains, je comprend la dextérité et la prise, une force qui se trouve plutôt sur le dos que dans la paume. je comprends mieux les mains que les visages"

Tant pis si la plupart du temps je ne comprends rien à moi-même, cela n'a  pas  pas le moindre intérêt ...de toute façon.

Mais j'ai ces mains là ...

Des mains  "capables" ... pas plus que celle d'un paysan qui connait sa terre, ou d'un marin qui sait quand tirer son filet... mais pas moins non plus.

J'ai ces mains là , une tête qui n'a jamais su  comment appréhender le monde et une âme en recherche..... Alors petite Marie arrête de poser à la vie des question auxquelles elle ne veut pas répondre et laisse toi absorber toute entière par la terre de tes sculptures.

Artiste libre

  Sur mes papiers d'identité à profession il y a : ARTISTE LIBRE. On ne pouvait pas être plus poétique et vrai.

Ce matin j'ai ouvert l'atelier et le soleil a déboulé à l'intérieur et moi j'ai craqué...

Je sais..... encore trois tableaux à finir, j'ai essayé d'être raisonnable j'en ai fini un, j'ai avancé le second et puis ? et puis j'ai sans doute rayé depuis trop lngtemps le mot raisonnable de mon vocabulaire....je ne sais plus faire.

Restait de l'expo deux ou trois armatures toutes prêtes de sculptures que je n'avais pas eu le temps de faire, c'était trop..

J'ai pris la première armature, ma terre, mes outils, coeur battant, je jure que c'est vrai..

Comme quelqu'un qui revient d'exil .

profession: Artiste libre