Deville-Chabrolle Journal d'atelier (retrouvé !)

QCM

L'enfant liane:" tu es triste?"

Marie:"..........."

E-L:"on va se séparer pour toujours, c'est ça?"

M:"..................."

E-L:" moi, je vais vivre, je suis enfin sortie de la terre, je vais voir à travers tes yeux, je vais sentir la caresse du regard des autres, être touchée, être aimée...et toi?"

M:" Je vais rester là,.... il y a une ligne droite qui  relie le jardin bleu et l'atelier et une autre entre mon âme et ma vie. C'est là, au croisement, à ce point géométrique précis que vous apparaissez....."

E-L:" Alors ta vie ce n'est que ça?......"

M:"..................Il va falloir que tu partes"

E-l:" pourquoi tu ne réponds presque jamais aux questions?"

M:"............ "

E-L" et pourquoi tu fais ce travail?"

M:" Pour répondre aux questions!"

Eaux matricielles

Sculpteur  le matin et gardienne de sommeil  l'après midi.
En ce moment ma vie se partage comme les eaux d'un fleuve.

Mon histoire avec l'enfant liane arrive à son terme, il ne restera plus demain qu'a travailler la matière du bas ...et revoir quelques détails....la prochaine sculpture déjà se profile .....encore trouble, encore image tremblante....mais elle monte comme une bulle d'air à la surface de cet océan dans lequel je vis .

Mes sculptures me semblent émerger quelquefois de  ces eaux matricielles .....   

Kiya dort

Kiya dort.

Kiya est malade.

Je l'ai enveloppée dans tous les ors et les rouges du salon.

Et je veille aux portes de son sommeil.Je veille sur le plus précieux des trésors, le sommeil d'un enfant qu'on aime.

Je veille sur les grands oiseaux silencieux qui volent sous ses paupières, sur le satin de ses joues, je veille sur son souffle léger de petite fille endormie.
Ma petite fille à la croisée de tous mes amours.

Kiya dort dans le rouge et l'or.

Journée idéale

Tôt le matin à l'atelier..

On commence par tout un tas de rituels.

Ouvrir le volet roulant.

Nettoyer (si pas eu le courage de la faire la veille)

Placer près de soi les outils appropriés.

La terre, sur une tournette à portée de main.

La bouteille d'eau.

Enlever les plastiques, les linges humides.....

Et regarder cinq minutes d'un oeil critique sa sculpture.

Je ne déroge jamais à ces rituels.

Manière de calmer l'angoisse, et manière aussi, avant même de commencer à se concentrer .

Ensuite  quand  c'est comme aujourd'hui une journée solitaire à l'atelier, il peut arriver n'importe quoi, je n'entends ni ne vois rien....

Rien ne vient rompre le fil entre ma sculpture et moi...j'adore par dessus tout être dans ce silence,à peine troublé, de temps à autre, par le bruit d'un outil qui tombe, celui de l'eau, et de la théière .....

Travailler, boire du thé, de l'eau, ne pas s'arrêter pour le repas et ne s'arrêter que le soir..

Du bleu au vert

Je voyage de couleur en couleur.

Depuis le bleu de mes 5 jours de vacances je suis de nouveau dans le vert de mon jardin-bleu.

Et le gris perle de la pluie.

Pas de ces pluies violentes, non une pluie douce qui tombe comme une évidence, comme si elle avait été là depuis des siècles.

Une pluie maternelle qui prend soin du jardin, avec bienveillance, qui offre aux dernières fleurs de l'été la douceur de s'éveiller dans la fraîcheur de l'eau.

De ces pluies sages qui vous invite irresitiblement à lire , à écrire,à réfléchir...

J'aime tout ce qui me vient du ciel.....

Tout ça, pour ça

Toute une journée de travail...et presque rien de visible...et pourtant.

Correction des courbes, travail de la matière sur le bas et chevelure....ah,oui! un bras pas terminé....

toujours l'infinie patience

Bleu comme le souvenir

Finalement, lorsqu'on revient de vacances, et quelque soit le lieu, quand... le soir, très tard on déploie un à un ses souvenirs. Avec beaucoup de délicatesse,et de précautions parce que c'est rare et fragile.. ce que l'on trouve généralement...... c'est du bleu...

ça peut être, le bleu de l'eau, celui de la la mer,ou celui  d'une piscine éclairée le soir, celui du ciel, le bleu-nuit d'une conversation amoureuse sur une terrasse, ou dans un jardin.

ça peut être, des bleus à l'âme, le bleu de ses yeux,ou celui de la fumée d'une cigarette, le frisson-bleu des caresses,le bleu de l'encre, le bleu de l'écran d'un ordinateur ou celui d'un portable...

Et si l'on a avec un peu de chance........ la note bleue de la musique.

La substance du ciel

La nuit s'est glissée partout.

Douce comme un papier de soie.

La nuit sera calme et tendre, parce qu'il est des soirs comme ceux là, où même la solitude est douce à la peau.

Parce que l'on sait qu'il  y a quelque part quelqu'un qui marchait et qui s'est arrêté et a pensé à vous. Ou qui a levé le regard vers le ciel et a partagé une seconde cette nuit avec vous...Ou encore quelqu'un qui était  dans son jardin ou sur sa terrasse et  quand on lui a demandé " à quoi tu penses?" à dit "à rien" et ce rien c'était vous....

On se dit ça.... et même si c'est pas vrai,  même si rien de cela n'existe ....ça n'a pas d'importance

C'est juste que la nuit est plus tendre comme ça...

"Un homme prie et augmente ainsi la substance du ciel. Les nuages sont pleins du souffle des prières" (Erri de Luca in Trois chevaux)

Et moi je dis que prier ou penser très fort à quelqu'un c'est pareil....

Du si profond

Je crois que c'est de là que viennent les sculptures....
De cet escalier qui n'en finit pas de descendre en soi.

Et le sculpteur est cet enfant endormi...à mi-chemin entre la nuit et le jour et qui rêve d'oiseaux filant vers la lumière.

"Il y a en chacun de nous une chose qui n'a pas de nom et cette chose est ce que nous sommes "
Jose Saramago in "l'aveuglement"

Les mots fragiles

C'est comme ça que je l'ai laissée ce soir.

J'ai pris le temps de l'enrouler dans les linges humides, elle avait l'air si fragile, si épuisée de son voyage, si nue aussi....

je lui disais:

"Ouvrir son âme à la lumière.
Venir du si profond silence.
Emerger  d'un monde tiède, végétal et souterrain.
Ne savoir de la lumière que ce que racontent les pierres ensevelies et le lent cheminement de l'eau...
En être encore si proche....
Naitre d'argile douce et fragile."

Elle me disait:
"n'être qu'humaine et vulnérable,
avoir une âme vacillante
Ne rien connaître de son devenir que ce qu'en racontent les anges que tu inventes...
rêver sa vie...

Alors j'ai fermé l'atelier
Et je suis allée boire un thé dans mon jardin.